L’entreprise, dernier lieu de sociabilité ?

Pendant longtemps, les lieux de sociabilité étaient multiples. On tissait des liens dans les quartiers, dans les paroisses, au sein de la famille élargie ou dans les clubs, syndicats, cafés, associations… Mais aujourd’hui, ces espaces se sont peu à peu effacés. L’individualisation des modes de vie, la mobilité géographique, la digitalisation de nos interactions et l’érosion des structures traditionnelles ont bouleversé notre manière de vivre ensemble.

Résultat : pour beaucoup, le lieu de travail est devenu l’un des derniers endroits où l’on partage vraiment du temps avec d’autres êtres humains.

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Travailler pour plus qu’un salaire

Ce constat, plusieurs penseurs contemporains l’expriment chacun à leur manière. La plus emblématique, sans doute, c’est Esther Perel, psychothérapeute mondialement connue. Pour elle, l’entreprise est devenue un « village émotionnel ». C’est là qu’on échange, qu’on se soutient, qu’on vit parfois des tensions aussi. C’est aussi là qu’on cherche du sens, de la reconnaissance, voire même une forme d’épanouissement personnel qu’on n’ose plus attendre d’ailleurs. En bref, on ne travaille plus seulement pour un salaire : on attend de son travail qu’il remplisse un vrai rôle dans sa vie.

Ce glissement n’est pas qu’une intuition. Les collègues deviennent parfois nos seuls interlocuteurs réguliers. On les voit plus souvent que ses amis ou que certains membres de sa propre famille. On partage les pauses, les projets, les petits succès du quotidien, les galères aussi. Même les discussions informelles à la machine à café prennent une place importante, parfois plus précieuse qu’on ne le pense.

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Un phénomène sociétal global

Esther Perel n’est pas la seule à faire ce constat. Le sociologue Jean Viard insiste, lui aussi, sur le fait que le monde du travail reste un rare espace de brassage social. Dans une société où tout devient de plus en plus segmenté, l’entreprise conserve encore une certaine diversité – de générations, de milieux, de parcours. Elle reste un lieu de rencontre.

De son côté, Sherry Turkle, professeure au MIT, analyse l’impact des technologies sur nos relations humaines. Dans un monde ultra-connecté mais paradoxalement solitaire, les interactions liées au travail sont parfois les seules conversations réelles de la journée. Elle parle d’un besoin profond de “reconnexion humaine”, que certains tentent de combler à travers leurs collègues, leurs équipes, leur entreprise.

Enfin, Frédéric Laloux, dans son livre « Reinventing Organizations », montre que cette soif de sens et de lien pousse certaines entreprises à évoluer vers des modèles plus humains, plus collaboratifs, plus « vivants ». Car on attend de plus en plus du travail qu’il réponde à des besoins qui dépassent largement la fiche de poste.

Une nouvelle donne à intégrer

Si l’on regarde ce phénomène en face, il change pas mal de choses. Il pousse les entreprises à se poser des questions plus larges que la simple performance.

Créer un climat de confiance, favoriser des dynamiques relationnelles positives, reconnaître les émotions… Ce ne sont plus des “petits plus”, ce sont des éléments centraux. Parce que l’engagement passe aussi – et peut-être surtout – par la qualité des liens humains au quotidien.

Cela ne veut pas dire que l’entreprise doit tout prendre en charge. Mais elle ne peut plus faire comme si elle n’avait aucun rôle à jouer dans cette évolution. Dans un monde où l’on se sent de plus en plus seuls, le travail peut encore être un lieu de vie, de lien, et parfois même de joie. Et ça, ce n’est pas rien.

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